La Constitution haïtienne de 1987 à l’heure d’une éventuelle réforme

Trente-huit ans après son adoption, la Constitution haïtienne de 1987 demeure un texte à la fois symbolique et controversé. Conçue pour tourner la page de la dictature des Duvalier et établir un État de droit démocratique, cette charte fondamentale n’a pourtant jamais été pleinement appliquée. Aujourd’hui, alors que les autorités de transition envisagent sa révision, il convient d’en dresser un bilan critique.

La Constitution de 1987 était porteuse d’importantes avancées démocratiques. Elle visait à limiter les abus du pouvoir exécutif par l’interdiction des mandats présidentiels consécutifs et le renforcement du Parlement. Elle garantissait les droits fondamentaux et prévoyait la décentralisation du pouvoir par la création des collectivités territoriales. Ces principes répondaient aux aspirations légitimes du peuple haïtien après des décennies de dictature.

Pourtant, son application s’est heurtée à de nombreux obstacles. L’instabilité politique chronique, marquée par des coups d’État, des gouvernements illégitimes et des élections contestées, a empêché son ancrage démocratique. Certaines dispositions, comme les règles complexes de ratification du Premier ministre, ont créé des blocages institutionnels récurrents, transformant parfois le Parlement en une « dictature législative ». L’absence de Conseil constitutionnel indépendant a laissé le champ libre à des interprétations partisanes.

Les dysfonctionnements sont patents. La prolongation illégale des mandats présidentiels et parlementaires est devenue une pratique courante. Le processus de nomination du Premier ministre donne lieu à des marchandages politiques paralysants. L’indépendance formelle de la justice n’a pas empêché corruption et ingérence politique.

Dans ce contexte, le débat sur une révision constitutionnelle s’intensifie. Certains acteurs plaident pour un renforcement du présidentialisme,d’autres préconisent au contraire un système semi-présidentiel ou parlementaire pour éviter les dérives autoritaires. Mais cette discussion soulève une question fondamentale : un simple changement de régime suffira-t-il à résoudre les problèmes structurels du pays ?

La véritable interrogation porte sur l’opportunité même d’une nouvelle Constitution. À quoi bon modifier la Loi fondamentale si la pratique persistante reste celle de la non-application des lois ? La Constitution actuelle contient déjà des mécanismes pour assurer l’équilibre des pouvoirs et protéger les droits citoyens. Le problème ne réside pas dans le texte lui-même, mais dans son non-respect systématique.

Plus grave encore, toute révision constitutionnelle se heurte à un obstacle juridique majeur. L’article 284.3 de la Constitution en vigueur interdit expressément le recours au référendum pour la modifier. Cette disposition rend suspect tout processus de révision qui ne respecterait pas scrupuleusement les procédures légales établies.

Avant d’envisager une nouvelle Constitution, ne faudrait-il pas d’abord apprendre à appliquer correctement celle qui existe ? L’histoire politique haïtienne montre que les meilleures lois restent lettre morte sans volonté politique de les respecter. Si la classe politique continue de fonctionner dans l’opacité et le mépris des règles, une nouvelle charte fondamentale ne sera qu’un n simulacre de changement dans un système qui refuse toute réforme en profondeur.

La solution ne réside peut-être pas dans un nouveau texte constitutionnel, mais dans une rupture radicale avec les pratiques qui ont miné la démocratie haïtienne depuis des décennies. Sans cette remise en question fondamentale, toute réforme constitutionnelle risque de n’être qu’un exercice de style sans impact réel sur la gouvernance du pays.

Jonathan M. St vil